Pays de la Loire

Associations : comment accompagner les gens du voyage ?

Associations : comment accompagner les gens du voyage ?

Contenu proposé par :

Image : Agathe Roger / Journaliste : Apolline Tarbé

Publié le 18 décembre 2023 à 10h55 - Durée : 10mn

Depuis près de 60 ans, l’Association Mayennaise d’Action auprès des Gens du Voyage (Amav) accompagne les voyageurs du département dans leurs préoccupations quotidiennes et lutte pour l’amélioration de leurs conditions de vie sur le territoire. Grâce à sa fine connaissance des politiques publiques et de la culture du nomadisme, l’AMAV agit dans de nombreux domaines : la scolarité, la parentalité, l’insertion sociale et professionnelle, l’habitat, l’accès aux loisirs et à la culture…; avec un fil rouge : rappeler les droits et les devoirs, de part et d’autre. Reportage.

Joseph Weiss, voyageur sur l’aire de Changé

Lundi 27 novembre, 10h. Comme chaque début de semaine, Stéphanie et Nathalie, salariées de l’AMAV, se rendent sur les aires d’accueil des gens du voyage de l’agglomération de Laval pour une présence sociale. Bravant la pluie, elles toquent aux portes des caravanes pour discuter, apporter le courrier, prendre des nouvelles de chacun, répondre aux questions éventuelles des voyageurs. Ces derniers, habitués de la visite hebdomadaire, reçoivent les travailleuses sociales chez eux avec plaisir.

Une aide du quotidien

« C’est un moment qui est bien identifié » explique Nathalie en se garant sur l’aire de Changé, « parce que ça fait des années qu’on le fait ». Elle avoue s’être demandé plusieurs fois « si c’était pas trop intrusif d’aller frapper aux portes », mais cette crainte fut vite chassée : « ça ne les dérange pas du tout, au contraire. On a la remarque quand on est pas venues ». Un accueil chaleureux que les deux collègues attribuent à la démarche bienveillante de l’association : « lorsque des nouvelles familles s’installent, on vient avec le seul objectif de la rencontre. Ils n’ont pas l’habitude d’avoir des gens qui viennent les voir de façon positive ».

« Ils n’ont pas l’habitude d’avoir des gens qui viennent les voir de façon positive »

En effet, l’association est connue et appréciée de tous les voyageurs que nous rencontrons. « On est bien à l’Amav » confirme Chantal qui nous reçoit chez elle. « C’est des gens très gentils ». Elle a rencontré l’association dès sa création, en 1966, alors que sa famille passait ses hivers en Mayenne et reprenait la route l’été. Désormais définitivement installée sur l’aire de Changé, Chantal sollicite régulièrement l’Amav pour l’aider dans son parcours de soin, et papote avec plaisir de ses souvenirs familiaux avec Nathalie, rencontrée sur une aire lavalloise il y a plus de 30 ans.

Chantal, voyageuse installée depuis 1966 sur l’aire de Changé

En allant régulièrement vers les voyageurs sur les aires d’accueil, Nathalie et Stéphanie peuvent entretenir ce lien social, repérer les nouvelles familles arrivées en Mayenne, informer l’ensemble des voyageurs des événements prévus dans la semaine à l’association, s’enquérir des problèmes rencontrés par les personnes pour y répondre ou pour orienter vers les bons professionnels, et bien sûr veiller à la scolarisation des enfants - un aspect particulièrement important de leur travail. C’est cette aide précieuse du quotidien que prodigue l’Amav, sur les lieux de vie comme à son siège.

Accueil du siège de l’Amav, où sont domiciliées plus de 150 familles

À titre d’exemple, plus de 100 familles sont domiciliées au siège social de l’Amav et 300 y reçoivent leur courrier. Ici, elles peuvent aussi prendre rendez-vous avec des salariées qui les accompagnent sur des aspects pratiques de la vie de tous les jours : suivi de micro-entreprise, recherche d’emploi, médiation numérique… Bref, comme le résume Joseph Weiss devant sa caravane, l’Amav, « elle fait que des bonnes choses ».

Des droits et des devoirs

Garantir l’accès au droit commun des voyageurs n’est pas toujours simple. Et pour cause : il s’agit de la population la plus discriminée en France, comme le rappelle un rapport de la Défenseure des droits en 2021. Assurer sa caravane, avoir accès à des sanitaires décents, obtenir un rendez-vous médical… Les besoins les plus primaires peuvent parfois se révéler de véritables parcours du combattant. Une discrimination « très insidieuse », qui se cache dans « des petites choses du quotidien », note le président de l’association, Didier. C’est pour cette raison que l’association se positionne « à l’interface entre cette population et les pouvoirs publics », explique-t-il. Il s’agit pour l’Amav de rappeler les droits et les devoirs « de part et d’autre », insiste Didier.

Atelier des minots dans le camion de l’Amav

La scolarisation des jeunes voyageurs illustre parfaitement cet exercice d’équilibriste auquel s’adonne l’Amav. Lorsqu’une famille arrive sur le territoire, l’association doit régulièrement se battre auprès des services publics pour assurer un parcours scolaire classique aux enfants : garantir une place à l’aide aux devoirs, appliquer le quotient familial de la commune, obtenir l’accompagnement d’un ATSEM… Les salariés doivent couramment rappeler aux élus et techniciens des collectivités la nécessité d’adapter le droit commun pour ne pas exclure les voyageurs du cadre légal.

Mais de l’autre côté, les voyageurs eux-mêmes rechignent souvent à inscrire leurs enfants à l’école. Le changement régulier de commune et la méconnaissance du milieu scolaire suscite des craintes plus ou moins fondées. « Quand on met notre enfant à l’école, on a peur que quelqu’un l’enlève », confie Angélique, une voyageuse qui attend son deuxième enfant. Le rejet potentiel des autres écoliers, les maladies, les violences, les drogues, et bien sûr le risque de rencontre amoureuse avec les gadjé* sont autant de motifs de préoccupations pour les parents. L’Amav doit donc régulièrement « rappeler le cadre de la loi » aux familles, raconte Maryse, directrice de l’association. « On rappelle que l’instruction est obligatoire ».

Maryse, directrice de l’Amav

Bien souvent, néanmoins, l’argument légal ne suffit pas. L’association travaille alors également sur la déconstruction des peurs, poursuit Maryse : « on propose la visite de l’école, on aide les parents à dédramatiser, à parler de leur histoire car ils ont souvent des souvenirs tellement douloureux de l’école qu’ils ne veulent pas faire vivre ça à leurs enfants ». Pour assurer la scolarisation des enfants, sa collègue Stéphanie a aussi « appris à ne pas réfléchir comme une sédentaire, faire le pas de côté et trouver les arguments qui font mouche ».

« J’ai appris à ne pas réfléchir comme une sédentaire »

Pour convaincre, elle démontre souvent que le parcours scolaire permet d’apprendre à lire et à écrire et donc d’être plus indépendant dans la création et la gestion de son entreprise, à plus long terme. Or, « tous les parents ont envie que leur enfant sache lire et écrire », affirme Maryse.

Dans le camion de l’Amav, Nathalie lit une histoire aux jeunes voyageurs

Comme le résume Maryse, l’Amav jongle ainsi avec les peurs et les stéréotypes brandis d’un côté comme de l’autre, pour offrir un service de médiation : « on est en relai pour faire le lien entre la famille et le droit commun, afin qu’il n’y ait pas une rupture totale et une incompréhension de part et d’autre ». Ce travail est aujourd’hui reconnu et même réclamé des deux côtés, grâce à des années d’implantation sur le territoire et une connaissance fine des familles comme des institutions ; même si « on apprend encore tous les jours », rappelle Didier. « On est pas des sachants : on fait avec eux et eux font avec nous ».

Faire rayonner la culture du voyage

En France, un tiers des gens du voyage sont sédentarisés : ils habitent à temps plein sur une aire d’accueil ou sur un terrain qu’ils ont acquis. Sont-ils devenus sédentaires pour autant ? Pas le moins du monde, car « le voyage, c’est avant tout une culture », explique Stéphanie. Elle développe : « si demain vous prenez la caravane et vous partez trois semaines en vacances, vous ne devenez pas des voyageurs. Pour eux, c’est pareil : même quand ils ne voyagent pas, ils restent des voyageurs. Leur mode de vie et leur culture, leur façon de penser la famille, leurs priorités restent les mêmes ; et sont différentes de celles des sédentaires ».

« Le voyage, c’est avant tout une culture »

Pour l’Amav, faire connaître et rayonner la richesse de cette culture est essentiel. Les livres, les films, la musique ou encore l’artisanat des voyageurs sont autant de leviers qui permettent de valoriser les gens du voyage et de lever le voile sur leur histoire dramatique. Un devoir de mémoire d’autant plus nécessaire que la transmission ne s’opère pas toujours entre les générations de voyageurs, explique Stéphanie. « Certains voyageurs ne connaissent pas leur histoire et se transmettent une colère, de génération en génération, sans savoir pourquoi ni d’où elle vient. Alors nous on se dit qu’il faut faire un travail dans les deux sens ». Stéphanie en est persuadée : « pour qu’ils avancent et que nous on avance, il faut transmettre cette histoire ».

Stéphanie avec une plaque rappelant l’obligation pour les voyageurs d’avoir un carnet de circulation

C’est dans cette perspective que l’Amav a créé, au fil des ans, un centre de documentation rempli de ressources précieuses autour de ces sujets. Autant de livres, bandes dessinées, objets et revues spécialisées qui sont mises à disposition des voyageurs, des bénévoles, des salariées et des partenaires de l’Amav, gratuitement.

Yvette, bibliothécaire retraitée et bénévole à l’Amav, s’est plongée dans l’histoire des voyageurs en triant ces ressources. « C’est un monde que je connaissais peu », reconnait-elle. « Et c’est vrai que quand on se penche sur leur histoire, c’est assez impressionnant ». Pour faire vivre le centre de documentation, elle anime tous les mois un atelier « On se la raconte » au siège de l’Amav, pendant lequel elle présente plusieurs ouvrages.

Yvette, bénévole à l’Amav

« Là, on a un témoignage assez rigolo », commence-t-elle face à une poignée de bénévoles, en attrapant le roman Ma sœur est une gitane de Logan de Carvalho. « Il nous raconte ce qu’est le monde des voyageurs, son monde d’origine dont il s’est séparé. C’est 150 pages. Une lecture à conseiller ».

« Quand on se penche sur leur histoire, c’est assez impressionnant »

Elle ouvre le livre au hasard et enchaîne sur un extrait : « Mes parents étaient tétanisés aux rencontres parents profs. Ma mère, surtout. Elle suppliait mon père d’y aller à sa place. Elle anticipait sa honte de passer pour une inculte face au prof qui pourrait lui poser des questions sur sa vie privée, ou notre environnement familial. Questions auxquelles ma mère aurait dû mentir pour répondre, car il n’aurait pas été possible de dire la vérité. Le mensonge est pour nous souvent un outil précieux, un outil de survie, un art de vivre ».

Bande dessinée du centre de documentation

À la fin de l’atelier, plusieurs bénévoles repartent avec un livre dans la poche. La semaine prochaine, ils iront voir, avec un groupe de voyageurs de Laval, le seul-en-scène de Logan de Carvalho « Moitié voyageur ». C’est encore l’une des multiples manières que propose l’Amav pour réunir les sédentaires et les voyageurs. Car, comme le rappelle Poulika, rencontré sur une aire d’accueil, « on est tous des humains. On est tous pareil. Sauf qu’il y a des vies qui diffèrent ! Vous êtes en maison, moi en caravane ». Tout simplement.

*gadjé = dans le vocabulaire des gitans, terme désignant un non-gitan.

Une création d'In:Expeditions
10mn
 Écouter

Image : Agathe Roger / Journaliste : Apolline Tarbé

Publié le 18 décembre 2023 à 10h55 - Durée : 10mn

Merci pour votre temps :

  • L'équipe de salariées et bénévoles de l'Amav
  • L'ensemble des voyageurs qui nous ont accueillies chez eux

Entrer en contact :

  • Maryse Gaspard, directrice de l'Amav : direction@amav53.fr

dans le même format :