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Les recycleries, ou comment allier écologie et solidarité

Les recycleries, ou comment allier écologie et solidarité

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Image : Agathe Roger / Journaliste : Apolline Tarbé

Publié le 8 janvier 2024 à 15h20 - Durée : 6mn

Dans le quartier de la Haie Griselle de Boissy-Saint-Léger (94), l’immense local de l’ancienne cuisine centrale a trouvé un nouvel usage. Depuis quelques mois, ce sont les équipes de la Ligue de l’enseignement du Val-de-Marne qui l’occupent, et qui y ont créé une recyclerie : la Boissyclerie. Avec sa boutique de seconde main à petits prix et ses ateliers de réparation, le lieu prône le réemploi et la solidarité auprès des habitants du quartier. Zoom sur ce modèle triplement gagnant.  

Une musique d’ambiance, des murs hauts en couleur, des portants débordant de vêtements et des allées et venues de familles du quartier : le décor est planté, bienvenue à la Boissyclerie. Depuis l’ouverture du lieu en juillet, son équipe vous y accueille du mercredi au samedi pour déposer des dons, faire vos courses d’occasion, ou simplement passer un bon moment. Ici, pas de gaspi : on collecte, on trie, on revend ou on recycle.

Des vertus écologiques…

« Nous sommes dans une recyclerie autour du textile et du vélo », présente Mathilde, responsable du lieu. « On récupère tout ce qui est vêtement, linge de maison, chaussures et accessoires, pour la partie textile. Et pour la partie cycle, on collecte les vélos, trottinettes et rollers ». Les dons quotidiens des habitants du quartier ont déjà permis d’amasser des quantités colossales d’objets, stockés dans un premier temps au sous-sol afin d’être triés. C’en est quasiment vertigineux : les sacs pleins d’affaires remplissent des salles entières du local. Mais l’équipe est rodée : « on se charge de trier, réparer ce qu’on peut réparer, et recycler ce qui est en trop mauvais état », enchaîne Mathilde. Les vêtements trop abîmés, usés ou tâchés sont ainsi envoyés à une association qui en fait d’autres usages. Les vélos et autres cycles inutilisables sont démontés intégralement afin de pouvoir réutiliser les différentes pièces. Les plus beaux objets, eux montent en boutique et sont disposés sur les portants ou autour, pour connaître une seconde vie.

En 2016, plus de 100 milliards de vêtements ont été vendus dans le monde : c’est 60% de plus que quinze ans plus tôt. Cette tendance exponentielle représente un véritable fléau pour la planète, l’industrie textile étant l’une des plus polluantes au monde. L’achat d’occasion incarne ainsi l’une des portes de sortie de la fast-fashion frénétique.

C’est cette dimension écologique qui a immédiatement parlé à Mathilde dans le projet de la Boissyclerie : « ça fait longtemps que le réemploi est important dans ma vie, je trouve ça bien de le promouvoir dans ce lieu. Pour nous, l’enjeu écologique de ce projet a toujours été très clair, mais on se rend compte que pour les habitants, c’est souvent l’argument économique qui prime », observe-t-elle cependant. L’équipe évoque donc le sujet ici et là, « en en parlant aux personnes qui passent en caisse, par exemple. On essaie d’infuser l’intérêt de la seconde main. On parle de l’importance d’allonger au maximum la durée de vie de leur objet ».

« On essaie d’infuser l’intérêt de la seconde main »

Pour accompagner les usagers dans ce chemin, la Boissyclerie propose toutes les semaines des ateliers de couture et de réparation de vélo, grâce à deux professionnels. Ouafaa, couturière, et William, mécanicien cycles, mettent leur matériel et leur talent à disposition pour aider chacun à remettre ses objets à neuf. Des moments qui « permettent aussi de montrer toute l’importance de réutiliser le tissu, de réparer certains vêtements qui peuvent être jetés alors qu’il s’agit d’un point à refaire ou de deux boutons qui manquent », remarque Mathilde, qui poursuit : « pour le vélo, c’est pareil. Beaucoup de gens viennent en disant : j’ai ce vélo qui traine sur mon balcon depuis des mois, c’est juste une chambre à air à changer. Mais ils ne savent pas le faire, donc ça reste inutilisé ».  

Aujourd’hui, Ouafaa propose à quatre participantes de réaliser un calendrier de l’avent à partir de chutes de tissus, tandis que William reçoit la visite inopinée de deux collégiens qui souhaitent réparer leurs freins et leur système de transmission. Des bricolages qui seront effectués en quelques heures, dans une ambiance conviviale, avec des pièces d’occasion uniquement.

Dès 2024, la Boissyclerie prévoit d’approfondir ce travail de sensibilisation en proposant régulièrement des ateliers autour des enjeux écologiques du réemploi : « comprendre le cycle de vie du vêtement, l’impact de la surconsommation, et ainsi de suite », décrit Mathilde. Une brique essentielle de ce projet d’éducation populaire.

…aux valeurs de solidarité…

Par souci d’accessibilité, la boutique de la Boissyclerie pratique de tout petits prix. Pour quelques euros, il est ainsi possible d’acquérir des vêtements pour bébés, enfants et adultes, du matériel de sport ou des accessoires. Néanmoins, l’équipe met un point d’honneur à ne pas réduire la consommation d’occasion à cet aspect économique, comme le rappelle Ophélie : « On aimerait changer l’image selon laquelle acheter de la seconde main, c’est réservé aux personnes en précarité. On a beaucoup de personnes qui viennent donner des vêtements, mais qui ne regardent pas la boutique. On voudrait que tout le monde puisse profiter de ce lieu ».

Toujours est-il que pour Lucas et Samy, venus réparer leur vélo avec leurs économies, c’est une aubaine. Arrivé avec huit euros en poche, Samy est ravi : il a pu passer l’après-midi à l’atelier, changer sa poignée, regonfler ses pneus… ce qui n’aurait pas été possible dans un magasin classique. « Et en plus, ça nous permet d’apprendre ! » s’enthousiasme-t-il. À ses côtés, Lucas a pu tester trois différentes techniques pour stopper le grincement de ses freins, sous les conseils avisés de William. L’après-midi est réussie pour les deux adolescents, qui fréquentent le lieu pour la deuxième fois.  

C’est cet esprit d’éducation populaire qui anime la Boissyclerie, « dans une démarche solidaire et de transmission », décrit William, qui a quitté le monde de l’entreprise pour rejoindre ce projet associatif. Il ne s’agit pas d’inciter les gens à acheter à tout prix mais plutôt de s’émanciper ensemble du réflexe de consommation en apprenant à construire, réparer, réutiliser. Ces ateliers ont vocation à toucher un public de plus en plus large. De temps à autre, ils sont portés hors les murs à l’occasion d’un événement, d’un marché ou d’une brocante. Demain, des bénévoles ou des habitués du lieu pourront aussi en proposer. « On a une bénévole qui répare souvent des bijoux et qui nous a proposé d’en faire un atelier », mentionne Mathilde, « ainsi qu’un bénévole super intéressé par le vélo, qui pourrait donner des coups de main à William, et plusieurs autres bénévoles très créatives qui pourraient organiser des travaux manuels ». Une véritable boucle vertueuse de transmission entre les amis de la Boissyclerie.

…en passant par le lien social

La place des bénévoles est au coeur de ce projet de quartier. Au nombre d’une dizaine, elles sont aujourd’hui particulièrement impliquées pour « assurer le tri des vêtements, faire de la mise en rayon et accueillir les personnes », décrivent Ophélie et Mathilde. Les deux salariées restent à l’écoute des envies d’engagement de chacune dans la suite du projet. Et d’après Mathilde, ce ne sont pas les idées qui manquent : « les bénévoles voient que le projet est récent, et qu’il y a plein de choses à faire. Elles ont beaucoup d’idées qu’on va prendre le temps d’écouter pour mettre en place ce qui est réalisable ».

Sonia, bénévole depuis un mois, apprécie donner de son temps pour ce projet qui lui parle. Habitant à deux pas, elle a poussé la porte de la Boissyclerie dès son ouverture, par amour des friperies. « On m’a expliqué le projet et on m’a dit que si j’avais envie de venir aider, c’était ouvert », raconte-t-elle. Ayant à coeur d’agir pour l’environnement, elle accepte immédiatement. « Je me suis dit : c’est un bon concept, j’ai du temps, ils en ont besoin, et en plus je passe du bon temps quand je viens ! » Elle ajoute en rigolant : « Et à chaque fois que je viens, je trouve des vêtements ! »

« J’ai du temps, ils en ont besoin »

Pour la plupart, les bénévoles trouvent dans la Boissyclerie un lieu d’activité et de rencontre. En triant les vêtements ou en restant en boutique, elles discutent pendant des heures avec plaisir. De fait, tout est mis en place pour faire de la recyclerie un lieu chaleureux qui invite chaque personne de passage à se parler et passer du temps ensemble. « Très peu de personnes viennent uniquement pour acheter des vêtements », se réjouit Ophélie. « À chaque fois, ils viennent échanger avec nous, ils rencontrent d’autres habitants du quartier… On ne vient pas ici comme dans une boutique ».

« On ne vient pas ici comme dans une boutique »

Mathilde renchérit : « on se rend compte qu’il y a pas mal de personnes qui ont besoin de discuter, très clairement. On leur dit qu’il n’y a pas besoin d’acheter un t-shirt pour papoter avec nous ! Elles peuvent venir prendre un café ». L’installation de quelques tables et d’un café en auto-gestion dans la boutique invite chacun à « se poser plus longuement, se servir une boisson à prix libre, se sentir à l’aise, et ne pas être juste de passage pour déposer ou acheter des choses ». C’est exactement ainsi que le vit Jade, habitante d’une commune voisine, qui fréquente le café tous les mercredis avec ses trois enfants : « j’ai découvert ce lieu en passant devant, mes enfants jouent au basket juste à côté. Souvent, on part en avance de l’appartement pour passer du temps ici ». Ses enfants profitent alors des livres et des jeux de société mis à disposition. « J’aime bien ce genre d’endroit, avec cette notion de solidarité », apprécie Jade, qui donne et achète régulièrement des vêtements pour ses enfants à la Boissyclerie. En 2024, le lieu prévoit de devenir un Espace de Vie Sociale agrémenté par la CAF pour continuer à tisser le lien social et approfondir ces relations de voisinage.

La Boissyclerie s’intègre également au maillage associatif local pour faire vivre ces liens sociaux. Les locaux, partagés avec les Restos du Coeur, sont régulièrement ouverts à d’autres associations et projets du coin : Art’Murs pour y réaliser des oeuvres de street-art, le centre social du quartier pour proposer des cours de vélo pour adultes, prochainement Basque 94 pour y faire des séances de soutien scolaire… Les idées foisonnent, à l’image du tissu local décrit par Mathilde : « il y a beaucoup d’associations pour les jeunes, notamment autour du sport. On aimerait faire des choses avec eux et dépasser les activités qu’ils proposent d’habitude : on a pensé à un défilé de mode, par exemple. On a beaucoup d’idées pour 2024 ».

De beaux jours attendent la Boissyclerie - et le modèle de la recyclerie, qu’on souhaite voir se développer dans tous les quartiers !

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Image : Agathe Roger / Journaliste : Apolline Tarbé

Publié le 8 janvier 2024 à 15h20 - Durée : 6mn

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