Provence-Alpes-Côte d'Azur

Deraïdenz : la rencontre du sensible et de la matière

Deraïdenz : la rencontre du sensible et de la matière

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Texte : Apolline Tarbé / Photographies : Julien Borel, Serge Gutwirth

Publié le 23 octobre 2023 à 09h15 - Durée : 7mn

À Avignon, la compagnie DERAÏDENZ enchante le public depuis cinq ans avec ses productions régulières. Théâtre, danse, marionnette, film… le collectif d’artistes s’épanouit dans une large palette de disciplines, avec une exigence comme fil rouge : l’autonomie dans la création. Pendant le festival d’Avignon, DERAÏDENZ a assuré une vingtaine de représentations de son spectacle InKarnè, tout en faisant vivre son lieu « Pôle Théâtre et Marionnette », à quelques kilomètres des remparts. Rencontre avec une jeune compagnie aux grands rêves.

Déambulation de la compagnie dans les rues d'Avignon

Samedi 22 juillet, 9h30. Une grande porte en bois s’entre-ouvre sur une place du centre-ville d’Avignon. Quatre jeunes femmes apparaissent. La prestance de l’une d’entre elles attire immédiatement le regard : vêtue d’une longue robe rouge traînante, elle porte un masque pâle extrêmement réaliste. Le panneau arboré derrière elle finit de planter le décor : « Compagnie DERAÏDENZ, théâtre et marionnette ». Il annonce une représentation à 20h15 au théâtre Golovine. Les artistes se mettent en marche, silencieusement. Elles ont deux heures devant elles pour susciter la curiosité des festivaliers sur leur spectacle InKarnè.

Le pari de la douceur

DERAÏDENZ n’est pas la seule compagnie à faire la promotion de son spectacle dans la rue. À Avignon, tout au long du mois de juillet, ce sont plus de 1400 représentations qui sont proposées dans une centaine de lieux aménagés en théâtres. Autant dire que la concurrence est rude. Alors dans la rue, il faut se démarquer. Certains dansent, chantent, débitent leur pitch court et parfaitement rodé. Les artistes de DERAÏDENZ, elles, font le pari de la douceur et de la poésie. Pendant deux heures, Marion déambule dans les rues d’Avignon, masquée et costumée, à pas très doux. Autour d’elle, Coline, Léa et Noa suivent la cadence, tracts à la main. Leur démarche apaisée interpelle certains passants qui s’arrêtent, prennent des photos, attrapent un tract. Les plus conquis se rendront à la représentation, le soir même ou dans les jours qui viennent. Cette lenteur assumée, qui contraste avec la folle effervescence du festival, annonce le ton du spectacle ; et permet surtout à la compagnie de tenir le rythme jusqu’au bout du mois de juillet.

Au centre, Marion, entourée de Léa, Coline et Noa

Après une seconde parade l’après-midi, les artistes se retrouvent au théâtre Golovine pour préparer la représentation quotidienne d’InKarnè. Ce spectacle, né en 2021, met en scène la rencontre dansée de Marion et son double en marionnette. « Le processus de création a été très rapide. On l’a fait dans la temporalité des différents confinements », se remémore Léa, l’une des quatre co-fondateurs de DERAÏDENZ. Elle évoque l’écriture du spectacle comme la rencontre des idées et des besoins artistiques des différents membres. « Souvent, ça part d’une nécessité. C’est un jaillissement qu’on essaie de suivre, de rattraper et de respecter jusqu’au bout. Pour InKarnè, on a eu envie de travailler sur un spectacle chorégraphique pour la première fois, d’avoir un décor fait de rouge, d’une danseuse et son double en marionnette, avec Marion dans ce rôle. Et tout s’est articulé à partir de ça ».

Représentation d'InKarnè

Le spectacle, sans texte, ne laisse pas indemne. La bande originale et le décor drapé de rouge posent une atmosphère naturelle et mystique. Marion et son double inanimé se ressemblent tellement que c’en est troublant. En cinquante minutes sur scène, la danseuse transmet d’innombrables émotions au spectateur. Charge à chacun de les recevoir et les interpréter.

En sortant, l’une des spectatrices livre ses impressions : « j’ai trouvé ce spectacle plein de sensibilité et de créativité. J’ai pu goûter dans cette marionnette géante toute la dimension féminine de la rencontre, la quête de complicité avec son alter égo, de partage, de mouvement dans le vivant… Puis l’abandon de cette quête, une plongée intérieure et une renaissance dans la liberté de l’être unique et autonome ». Comme quoi, les messages peuvent passer sans les mots. La spectatrice poursuit : elle est impressionnée par « l’infinie grâce, la fragilité, la poésie et la gestuelle extrêmement expressive de la danseuse ».

Rencontres avec le public

Baptiste, un autre des co-fondateurs de la compagnie venu assister à la représentation, vibre pour ces moments. Pour lui, c’est dans cette rencontre avec le public que la vocation de DERAÏDENZ s’accomplit. « On essaie tant bien que mal de parler avec des mots, d’expliciter nos différents projets. Mais ce qui se passe vraiment, c’est sur scène », témoigne-t-il. « Parfois, les gens sont touchés de A à Z, parfois pendant une seconde seulement… mais tant qu’il y a cette connexion, ça nous intéresse vraiment ». Il conclut : « nous, ce qui nous importe, c’est de ne pas laisser intact ».

« ce qui nous importe, c’est de ne pas laisser intact »

De fait, l’esthétique singulière de la compagnie perturbe parfois les spectateurs dont les retours ne sont pas toujours si dithyrambiques. « On a des spectacles qui ne sont pas consensuels, donc tout le monde n’est pas toujours d’accord », raconte Léa. « C’est même très contrasté : il y en a qui rentrent complètement dedans et vivent des expériences de spectateurs et spectatrices. Et d’autres personnes peuvent passer complètement à côté, ou être en rejet ». Un retour qui ne représente « pas un échec », selon Baptiste : « c’est une expérience comme une autre ».

Marion avant la représentation d'InKarnè

Pour faire vivre cette rencontre avec son public plus largement, DERAÏDENZ a fait l’acquisition d’un lieu sur l’île de Barthelasse, entre Avignon et Villeneuve les Avignon. Le Pôle Théâtre et Marionnette sert d’atelier de construction et permet à la compagnie de recevoir régulièrement des personnes pour des événements divers, des ateliers ou encore des stages. « Pour nous, c’est important de transmettre. Ça nous fait plaisir », insiste Baptiste, qui donne régulièrement des formations. « Ce que je transmets, c’est surtout la passion de faire les choses, car l’expertise de l’artisanat se fait au fur et à mesure des années » explique l’autodidacte qui construit des marionnettes depuis près de 20 ans.

Baptiste, co-fondateur de la compagnie

Pour lui, cette démarche de transmission contribue grandement à la popularité et à l’ancrage local de la compagnie : « ça nous permet d’avoir un public très large, qui est autant happé par la proposition artistique des spectacles que par notre énergie globale, le fait de s’ouvrir et d’avoir le plaisir de partager ».

La création sous toutes ses formes

En passant d’une pièce à l’autre de l’atelier, Baptiste présente les différentes techniques de construction à l’oeuvre pour le spectacle en cours de création, Le dernier jour de Pierre. Certaines personnes s’affairent sur la construction des prothèses, d’autres sur les décors, sur les vêtements ou encore les accessoires… Le lieu est une véritable ode à l’artisanat.

C’est la beauté de la construction de marionnettes : elle fait appel à de nombreuses disciplines. « Franchement je me demande même s'il y a une discipline qui n'est pas concernée », sourit Baptiste. « Pour les prothèses, il faut savoir sculpter et maîtriser les techniques de moulage et de tirage, avec différents matériaux. Du côté des costumes, ça demande une technique de patine, de broderie, de peinture sur textile, de couture… mais aussi des techniques d’ornementation : le plaquage, la dentelle, le crochet. Pour les décors en bois, on a besoin de compétences d’ébéniste, de menuisier, de marqueterie… Il y a aussi un travail de peinture et d’étalonnage ». La liste s’allonge toujours plus, mais ne fait pas reculer la jeune compagnie : « tout ça, c’est des compétences qu’on essaie d’avoir », affirme Baptiste.

Atelier de construction

Léa abonde : « on essaie vraiment de mettre au centre la notion de création totale. C’est nous qui composons la musique, les lumières, les costumes, les marionnettes… C’est super important pour nous d’avoir du savoir-faire ». Cette attention portée à l’autonomie et à l’artisanat fait partie intégrante du projet artistique de DERAÏDENZ. En maîtrisant le moindre aspect de la création scénique, la compagnie a su créer un univers et une esthétique qui lui sont propres et qui transportent réellement le spectateur. « On peut parler de théâtre d’atmosphère », explique Léa. En tant que comédienne, Marion a particulièrement apprécié cet engagement propre à la compagnie : « ça fait du bien de rentrer dans la profondeur à tous les stades de la création : à l’atelier, en plateau, en répétition, en représentation… »

Construction de décors

En six ans d’existence, la compagnie a déjà mis en scène quatre spectacles et trois déambulations qui peuvent se jouer dans des petites salles, des théâtres municipaux, sur des scènes nationales, en extérieur… Un éclectisme qui témoigne de sa volonté de « ne pas être mis dans une case ». Après une saison réussie au festival d’Avignon 2023, que peut-on souhaiter à un collectif si talentueux et animé pour les années à venir ? « De tourner », répondent les artistes à l’unisson. « En six ans, on a réussi à avoir un ancrage territorial très fort », reconnait Léa. « Maintenant, on a vraiment besoin de jouer ailleurs en France, en région, à l’international. On a envie de toucher d’autres énergies ».

Une création d'In:Expeditions
7mn
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Texte : Apolline Tarbé / Photographies : Julien Borel, Serge Gutwirth

Publié le 23 octobre 2023 à 09h15 - Durée : 7mn

Merci pour votre temps :

  • Baptiste, Léa, Marion et l’ensemble des membres de DERAÏDENZ

Entrer en contact : compagniederaidenz@gmail.com

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